Des capriccios
de Paul Rogers
à mes caprices
numériques
Arbitraire devient péjoratif dans la langue courante :
« qui procède du caprice, du bon plaisir », jusqu’à devenir voisin de
despotique ou de tyrannique (en parlant d’une décision).
Considéré négativement par l’idéologie classique
(1690), le caprice est valorisé à l’époque romantique qui remet à l’honneur
l’acception esthétique du mot entendu comme « œuvre d’art inspirée par le
génie et s’écartant des règles ordinaires », idée qui était déjà au cœur
de l’art baroque (XVIe-XVIIe s.) et qui commande des termes d’art comme arabesque,
grotesque, baroque. La forme italienne a été reprise telle quelle dans le
domaine musical où capriccio
n.m. (vers 1800) désigne une pièce de fantaisie, et parfois d’inspiration
folklorique (le Capriccio italien de Tchaïkovski).
Dictionnaire historique de
la langue française Le Robert
À l’absence de
commande, à l’absence de destination de mes travaux, à l’absence d’un sujet
extérieur (étranger) à mes préoccupations répond le « caprice ».
Tout se passe
donc entre moi et le petit carnet de croquis et l’appareil photo et le labo où
tout ceci s’assemble, se noue, se lie et s’accommode plus ou moins bien de
cette promiscuité contre nature.
Mon travail
procède de la pulsion, du flot, est un écho des pulsations qui me fondent,
instant après instant ; il ne doit en rien déranger les ordres qui me
dépassent – une libellule qui se repose sur une bouteille d’huile, flottant
mollement dans l’eau chargée.
Je me souviens
de l’émotion qui m’imprégnait lors d’un concert du contre-bassiste Paul Rogers.
Sa musique ne dérangeait rien de l’ordre intime de mes pensées – des marées
intérieures – flux et reflux. Une pulsation forcément éphémère de l’existence
joyeuse, imbécile, intense, m’emplissait avec légèreté. Rogers jouait les
yeux fermés. Lorsque l’archet frottait les sept cordes de sa contre-basse Les
Voix humaines (Sainte-Colombe) emplissaient le petit bar du Mans, telles
des revenants.
Pulsion du
jour, fraîche et toute neuve – la vague vient frapper de toute sa force le
sable mouillé, battu sans interruption, dans un vacarme unique.
Dessinant hier
je me sentis empli ̶ ma vie s’était réduite, ratatinée, laissant
un espace neuf et vacant. Je parle de ce que l’on nomme « la vie
intérieure », la vie de l’esprit, les mots qui trébuchent, les images
mentales qui surgissent – de la vie poétique, de la vie de l’animal.
Les symboles
doublent notre vision. Ils imposent une aura à l’objet qu’ils ont investi, qui
leur sert de véhicule. Ils le chargent d’une fonction fondamentale dans l’ordre
du monde.
La vision du
monde dans laquelle je me meus s’organise au rythme de mes organes. Les symboles me plongent dans une réalité
verticale, excavée d’une très ancienne histoire sans parole.
La musique libre
et improvisée de Paul Rogers, ce soir-là, était une potion poétique. Elle
résonnait avec le monde sensible et celui verticalement enfoui, sans heurts.
Elle était en connivence avec le flux artériel qui m’inonde et me berce.
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